Répression sur un groupe de manifestants le 9 juin 2016 au Havre.

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Répression sur un groupe de manifestants le 9 juin 2016 au Havre.

Des manifestants rouennais dans le collimateur de la police.
Arrestations préventives ciblées à la manifestation du Havre le 09/06/2016

Il faut bien reconnaitre une certaine détermination au gouvernement et à sa police. Tous les moyens auront été bons pour tenter de faire passer cette loi qui ne passe toujours pas et pour faire taire les millions de personnes qui d’une manière ou d’une autre se sont opposées à cette loi et qui présentement ne cèdent pas au chantage de l’euro 2016. Pour mémoire, un petit rappel des différentes formes de répression qui constitue en négatif un certain récit de la mobilisation : présence policière massive devant les lycées bloquées ; évacuations des facs, des places et des lieux occupés ; évacuation des blocages de dépôts pétroliers ; armes en tout genre entrainant un nombre inédit de blessés ; nasses où des centaines parfois des milliers de personnes sont contenues des heures ; interdiction de manifester au nom de l’Etat d’urgence : coups, arrestations, emprisonnements, mutilations.

Hier, à la manifestation du Havre du 09/06/2016, une tactique relativement inédite a été mise en place par la police : les arrestations ciblées, préventives et collectives de manifestants. Plusieurs rouennais et rouennaises avaient décidé de répondre à l’appel d’une grande manifestation régionale dans ce qui est présenté parfois comme la capitale de la grève : Le Havre. Parmi eux des lycéens et des étudiants, des salariés et des chômeurs, « des nuits-deboutistes », des individus quelconques. Certains se rendent même aux premiers blocages matinaux en voiture. Un dispositif constitué de quatre voitures de la Bac, une des RG et de quelques fourgons de la police nationale intervient : sept rouennais, et deux havrais qui avaient le tort de se trouver avec eux, seront contrôlés et embarqués à ce moment-là pour vérification d’identité même si certains avaient présenté leurs papiers. Enfermés dans les geôles, ils passent ensuite en audition libre où la pression liée aux circonstances permettent à la police de relever les empreintes digitales et de prendre des photos. D’autres plus au fait du caractère non contraignant du régime d’audition libre décident de ne rien déclarer et de refuser la signalétique. Tous ceux-là sont relâchés peu après. Mais une personne dont la voiture a été fouillée et qui a refusé la signalétique est placée en GAV, relâchée dans la soirée, elle est convoquée pour un procès en février pour un motif pour le moins surprenant : « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction ou dégradation de biens » et refus de signalétiques. Trois bombes de peintures et quelques fumigènes avaient été trouvés dans son coffre.

La police continue son travail aux abords de la manifestation. Une grande partie des rouennais seront contrôlés, certains seront à leur tour interpellés parmi lesquelles deux autres sont placées en GAV et sont poursuivis pour refus de signalétiques. L’arrivée de militants du syndicat SUD lors d’un contrôle massif a certainement permis de limiter la casse. Mais comment distinguer un rouennais d’un autre manifestant ? C’est là qu’apparait le caractère proprement délirant de cette opération policière. Depuis plusieurs jours, de mauvaises bouches faisaient circuler la rumeur selon laquelle il fallait redouter la venue de « casseurs rouennais ». Les mauvaises oreilles s’étaient empressées de la propager. La police de Rouen avait décidé de prendre les devants pour neutraliser ces « casseurs rouennais ». Quand on parle de « terrorisme social » à propos des actions syndicales, il n’y a pas à s’étonner que les manifestants de Nuit-debout deviennent subitement de « dangereux casseurs ». Toujours est-il que de nombreux policiers rouennais avaient fait le déplacement pour les reconnaitre et les identifier, et des équipes de BAC d’autres villes venues en renfort pour interpeller. Ils avaient aussi pris soin de distribuer largement à leurs collègues le trombinoscope des manifestants rouennais pour qu’ils puissent faire le tri à l’aide de ces étranges documents, les « police book », dont on trouvait un exemplaire dans de nombreux véhicule de police. C’est donc une surveillance et un fichage généralisés et opaques doublée d’un dispositif politique digne d’un contre-sommet qui a rendu possible ces contrôles et ces arrestations.

Plusieurs témoignages de manifestants du Havre confirment qu’une telle situation est inédite au Havre. Jamais des arrestations préventives n’avaient précédé une manifestation. C’est l’incompréhension totale. Des gestes de solidarité ont déjà eu lieu et devraient se poursuivre. Du côté des policiers du Havre, la chose n’a pas été non plus très appréciée. Et c’est parfois une guerre des services qui se déroulaient dans les couloirs du commissariat. Que voulaient-donc ces policiers de Rouen pour ordonner des arrestations contre des personnes pour lesquels il n’existait aucune charge sérieuse, et pour accroitre inutilement leur charge de travail ?

Ce coup de force de la police rouennaise montre encore à quel point elle s’acharne contre une partie du mouvement, en tolérant par exemples les blocages d’axe routiers quand ils sont effectués par une grosse centrale syndicale mais en les réprimant quand ce sont des non-syndiqués qui opèrent au même moment sur d’autres lieux. Après les nombreuses arrestations et autres intimidations à Rouen, vient donc le temps de la surveillance et de la traque. Mais derrière cette opération se profile la crainte que différentes formes de luttes se rencontrent et mettent leur force en commun. C’est pourquoi il était capital de distiller la menace du casseur dans les têtes syndicales. Tout comme, il convenait d’effrayer les rouennais interpelés en leur disant qu’il n’était pas les bienvenus parmi les dockers du Havre « qui votent extrême droite et n’hésiteraient pas à jeter des manifestants à la seine au premier tag » selon les déclarations d’un policier.

Quand un gouvernement en vient à une criminalisation de la multiplicité des formes de luttes, c’est qu’il est aux abois. Et ça n’est pas le moindre de ses mérites que de casser méticuleusement l’envie que certains pourraient avoir d’être bien gouverné. L’opération de division est en tout cas trop grosse pour la laisser fonctionner.

« Casseurs », « terroristes sociaux », « preneurs d’otages », « minorités tyranniques ».
Unis dans la lutte, unis contre la répression.

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